Chez moi, j’ai un bureau classique en noyer, véritable
chef d’œuvre de bois sculpté. Autour de moi les bibliothèques couvrent presque
la totalité de quatre murs de la grande chambre laissant un espace ou se trouve
la cheminée. Devant la cheminée, il y a mon salon. Les bougies allumées donnent
une étrange expression aux traits sévères de mon visage que mon hypocrisie
adoucit quand je me trouve devant un public.
C’est là que je me suis assis maintenant et ma pensée se
tourne vers le passé.
A l’école j’ai toujours voulu me distinguer et que
l’attention de mes camarades soit sur moi, c’est pourquoi je créais toujours de
problèmes. J’étais arrogant, j’étais excentrique, souvent je sentais les grandes différences
que j’avais avec eux. A la fin, j’arrivais toujours à être le chef. Certains
m’appelaient “moulin à paroles”. Je ne le supportais pas (bien que l’acceptant
silencieusement) et parce que toujours je voulais impressionner, j’avais comme
but de devenir orateur.
J’ai voulu tout lire. J’ai lu tous les principaux
philosophes (anciens et modernes) qui parlent *de liberté, justice, démocratie
et des autres vertus qu’un homme doit posséder et parce que je ne pouvais pas
les comprendre, je sous-estimais leurs messages et les interprétais à mon avantage
et selon mes préjugés.
Ainsi j’ai conquis le pouvoir. Pourtant mon pouvoir
repose sur mon ignorance et mon ignorance se trouve dans tous les domaines
(scientifique, théologique, sociologique, politique) à laquelle j’ajoute des
conclusions arbitraires et des dogmes. J’ai réussi à devenir le communiquant*
mondial. J’ai communique* la peur humaine en espoir pour une société idéale
(dans ce monde ou dans l’autre) sans
violence alors que moi je continuais à être violent. Mon public qui était plein
d’angoisse (de même que moi) essayait de combler le vide par mes théories qui
donneraient fin à leurs insécurités et à leurs peurs.
Au fur et à mesure du temps ma vanité grandissait. J’ai
réussi à avoir le respect de la société. Quand je me trouvais dans la rue, dans
un amphithéâtre, dans un gala, dans une église, dans une assemblée des hommes
des arts et des lettres, dans n’importe quel temple de la pensée, ils me
regardaient avec admiration et plusieurs fois je les ai entendus murmurer
« C’est l’intellectuel ». Je voulais être partout reconnu et qu’on
m’admire. J’ai réussi assez facilement en voyant que les gens sur mon passage
baissaient la tête et me saluaient avec respect. Je leur donnais la mesure de
leur médiocrité.
En attendant la prochaine conférence, je fais mon
autocritique. Des gens vont venir partager ma connaissance.
Mon thème préféré de débat est la vie et son sens. En
ignorant que la pensée est un sous ensemble de la vie, je luttais en vain pour
donner des réponses. Je me rendais
compte que la façon dont ma pensée analyse était faussée à cause de sa
restriction. Elle s’appuie sur des points de vue théologiques, philosophiques
et scientifiques en créant des erreurs. Sur ses erreurs se bâtit mon pouvoir
car avec ma rhétorique je communique mon avis à votre connaissance. Plus mon
ignorance est grande et grande l’impression que je veux créer, plus j’utilise
des phrases pompeuses, des significations ambiguës et des concepts abstraits,
plus le public ne me comprend pas et me prend pour un sage. Mon effort à
conserver cette image devant mon public (et en dehors) m’isole. A l’extérieur
je suis Dieu, alors qu’intérieurement je me sens une épave. Je suis comme un
malheureux dans des perceptions vieilles et sans valeur que ma rhétorique
présente comme nouvelles. Il suffit qu’elles représentent mon intérêt (ce que
je note silencieusement).
Mais oui, je suis l’intellectuel. Il est impossible de discuter avec moi parce
que je crois que seulement moi j’ai la connaissance, alors que vous avez
l’ignorance. Vous, vous avez peur de vivre seuls et car vous êtes incapables de
vous tenir sur vos pieds, je vous offre des béquilles. Moi, je suis ici pour
vous. Comme un vampire énergique, j’absorbe votre énergie par l’admiration
que vous avez pour moi et je vous offre tranquillité grâce à l’hypnose …
de mes discours.
Je me demande vraiment, parfois, que feriez-vous sans
moi. Qui vous apprendrait la vie ? La vie que vous avez peur de regarder
droit dans les yeux, de vivre comme elle est (pas comme l’intérêt
individuel exige), de savourer chaque moment, de sentir l’aura de joie. La vraie vie qui se trouve en dehors de la limite de
la pensée et le conflit qu’elle crée. L'action de l'énergie propre est
intelligence (qui est au-dessus de la loi action-réaction (en créant conflit
donc détérioration). Elle est toujours présente et située dans l'unité et
l'altruisme plutôt que dans la division et l'égoïsme de la pensée… Les forces
d'inertie (ou des habitudes sociales) et les préjugés qui s’opposent au progrès
et brisent l'ensemble, ne permettent pas la mise en œuvre de nouvelles idées en
promouvant l’atermoiement (aujourd'hui, je suis troublé, mais dans un avenir
incertain je deviendrai correct …).
A la fin de la dernière conférence, l'impatience et la
libido atteignaient leur apogée. J’attends maintenant l'admiration et les
applaudissements de mon public, qui stimulent toujours ma vanité. La conférence
était finie mais elle n’était pas suivie d’applaudissements. Tout le monde se
tenait debout et silencieux. A ce moment, je regarde leurs yeux glacés et je
comprends qu’ils exigeaient de leur retourner toute l'énergie que je leur avais
enlevée depuis des années. D’agresseur je suis devenu victime. L'image que
j’essayais de conserver depuis tant d’années était détruite. En faisant cette
constatation, je me suis effondré sur le siège. Alors les applaudissements ont
commencé.
Traductionparl’original
Dominique Guionis et Martha Isaakidi
Dominique Guionis et Martha Isaakidi